L’extension de la théorie de Brunn-Minkowski aux différences de Minkowski de corps convexes (appelés « hérissons ») et ses applications analytiques et géométriques.
Bien que connue depuis l'antiquité, ce n'est qu'au XXème siècle que la notion de convexité a commencé à révéler toute l'étendue et la richesse de ses applications dans des branches des mathématiques aussi variées que la théorie des nombres, la géométrie, l'analyse fonctionnelle, la théorie des graphes, etc. Depuis le milieu des années 90, je développe une théorie qui étend la notion de corps convexe en conférant à l'ensemble des objets géométriques considérés une structure algébrique qui autorise des opérations de décomposition des convexes jusqu'alors inenvisageables. Cette théorie des différences de Minkowski de corps convexes (appelées « hérissons ») a déjà permis plusieurs avancées majeures dans l'étude des convexes et dans leurs applications à l'analyse et à la géométrie. Elle m'a en particulier permis de résoudre une célèbre conjecture d'A.D. Alexandrov qui est reconnu comme l'un des plus grands géomètres russes du XXème siècle. Le seul développement de cette théorie en lien avec ses applications m'a conduit à publier – sans cosignataire – une grosse trentaine d'articles originaux dans des revues internationales à comité de lecture. Plusieurs de ces travaux ont d’ores et déjà une « descendance » importante, en particulier chez les mathématiciens russes.
Mes premiers travaux de recherche, entamés en DEA et poursuivis en thèse, portaient sur les feuilletages à selles de Morse des surfaces orientables de genre g > 1. Les travaux de G. Levitt (Topology, 1982) décrivaient la structure qualitative d’un tel feuilletage en termes de décompositions en pantalons dans le cas des feuilletages orientables. Mes premiers travaux ont consisté à établir des résultats analogues dans le cas d’un feuilletage non orientable en introduisant les outils théoriques nécessaires (Bull. de la SMF, 1984).
Sur la lancée de mes premiers travaux d’exploration des « hérissons » de ℝ^3 réalisés en thèse (Bull. Sci. Math, 1997), j'ai entrepris un long travail de réflexion solitaire consistant à : 1. Dégager le sens véritable de la notion de « hérisson » et l’affranchir des conditions de régularité superflues ; 2. Mettre au point des outils et des techniques indispensables à l’étude de ces objets géométriques; 3.Déterminer les champs d’applications potentiels de cette notion à l’étude des corps convexes et par delà à l’analyse.
Il m’est progressivement apparu que : 1. Cette notion de « hérissons » ne devait pas se réduire à la notion d’enveloppes paramétrées par leur application de Gauss dans ℝ^(n+1), forme sous laquelle elle était initialement apparue, mais qu’elle devait s’étendre considérablement jusqu’à se confondre avec la notion de différence de Minkowski de corps convexes quelconques de R^(n+1) (notion qui n’existait alors que d’un point de vue formel) ; 2. Les hérissons pouvaient être un formidable outil d'investigation pour l'étude géométriques des corps convexes dans la mesure où il est possible de décomposer judicieusement un corps convexe à étudier en une somme de hérissons afin de mettre en évidence ses propriétés.
Si la première observation ne verra poindre son réel aboutissement que dans des travaux relativement récents (CRAS 2003, Can. J. Math 2006, Eur. J. Comb. 2010, J. of Geom. 2014, Beitr. Algebra Geom. 2015), la seconde prouvera assez rapidement la richesse de ses applications géométriques et analytiques. Le premier point culminant des applications de cette méthode d’étude des corps convexes par décomposition, est certainement la construction (CRAS 2001) d’un contre-exemple à deux fameuses conjectures, l’une géométrique (A.D. Alexandrov, 1939) et l’autre analytique (D. Koutroufiotis et L. Nirenberg, 1973) mettant en outre en évidence une erreur dans une «preuve » de la conjecture d’Alexandrov proposée par A.V. Pogorelov en 1999. Ce contre-exemple et le premier exemple de «polytope (fortement) hyperbolique » (CRAS 2003) que son mode de construction m’a permis d’obtenir par une procédure de discrétisation se révèleront extrêmement riche en applications ultérieures. Ils ont en particulier ouvert la voie à l’élaboration d’une nouvelle théorie des polyèdres hyperboliques. Voir à ce sujet les travaux de G. Panina (Saint-Pétersbourg) et de ses collaborateurs et élèves évoqués dans la rubrique « Publications ».
Les applications de la notion de hérisson que j’ai progressivement dégagée sur une vingtaine d’années concernent donc pour partie l’étude des corps convexes et de leurs différences de Minkowski : zonoïdes, corps de projection et généralisations (Adv. In Math., 2001, voir la rubrique « Publications »), théorie de Brunn-Minkowski et généralisation (Arch. Math. 1996 et 1999, Demonstratio Math. 1999, Can. J. Math. 2006, Cent. Eur. J. Math. 2012, Result Math. 2013, Beitr. Algebra Geom. 2015, Monatsh. Math. 2017), corps convexes de largeur constante et généralisations (CRAS 1995, Amer. Math. Monthly 1996, Ann. Pol. Math. 1997, Pub. Mat. 2000), polytopes et généralisations sous forme de « polytopes virtuels » (CRAS 2003, J. Geom. 2014) avec des retombées sur des domaines connexes (voir par exemple certains travaux de G. Panina dont « Pointed spherical tilings and hyperbolic virtual polytopes », 2009).
Parmi les résultats marquants dans les applications aux corps convexes, on peut noter en particulier l’introdution d’une notion naturelle de co-différentiation des surfaces convexes de ℝ^3 dans l’espace de Lorentz-Minkowski ℝ^(3,1) conduisant à une série d’inégalités géométriques pour les focales de surfaces convexes (CRAS 2010) et un raffinement de l'inégalité d'Alexandrov-Fenchel (Monatsh. Math. 2017, voir la rubrique « Publications »). Ces travaux ont conduit à l 'élaboration d'un « géométrie de co-contact » (adjointe de la géométrie métrique de contact) permettant de mieux comprendre des surfaces marginalement piégées d'un espace-temps en les envisageant comme des « co-hérissons » définis par une différentielle de support via une « condition de co-contact » (Adv. Applied Math. 2018)).
Cette théorie des hérissons ne se limite évidemment pas à l'espace euclidien : elle s'étend en particulier à l'espace de Lorentz-Minkowski (voir à ce sujet Canad. Math. J. 2015, « Plane Lorentzian and Fuchsian hedgehogs » et les travaux de F. Fillastre « Fuchsian convex bodies : basics of Brunn-Minkowski theory », GAFA 2013).
La théorie des hérissons a également des rapports avec une série d'autres champs d'applications géométriques : le « Calcul d'Euler » introduit indépendamment par P. Schapira er O. Vigo (voir « Hedgehog theory via Euler calculus », Beitr. Algebra Geom. 2015) les modèles du plan projectif (version hérisson de la surface romaine de Steiner en réponse à un problème soulevé par D. Hilbert et S. Cohn-Vossen - Bull. Sci. Math. 1995), les surfaces minimales (Arch. Math. 1996, Ill. J Math. 2004), la théorie des singularités (Bull. Sci. Math. 1995, Pub. Mat. 2000, Arch. Math. 2002, Pub. Mat. 2015), les courbes fractales (Demonstratio Math. 2001), etc.
Elles sont enfin au service de l’analyse : équations de Monge-Ampère (CRAS 2001, Adv. in Math. 2001, Eur. J. Comb. 2010, Cent. Eur. J. Math. 2012), théorèmes d’oscillation et de comparaison de type Sturm (Arch. Math. 2003, Ill. J. Math. 2008, Eur. J. Comb. 2010 - voir la rubrique « Publications »).
En résumé, depuis maintenant plus de 25 années mon travail de recherche consiste pour l’essentiel en l’élaboration d’une théorie aussi complète que possible des hérissons (envisagés comme différences de Minkowski de corps convexes quelconques) en lien avec ses applications à la géométrie et à l’analyse.